Sommaire
Théorèmes et propositions indécidables...
Questions ouvertes et conjectures
Quelques célèbres conjectures
Conjecture ou théorème ?

Théorèmes et propositions indécidables...
Beaucoup de gens imaginent mal qu'il puisse y avoir des chercheurs en mathématiques (et pourtant, il y en a beaucoup !), et le commun des mortels se demande : mais que peuvent-ils donc chercher ? Ne les blâmons pas : de par leur enseignement souvent trop magistral, les mathématiques peuvent avoir l'air d'une science figée, terminée... Sensation probablement aggravée par le fait que, si les connaissances évoluent, il est assez rare en mathématiques contrairement aux sciences expérimentales de remettre en cause un résultat.
Et pourtant, si de nombreux théorèmes existent - qu'ils soient anciens et connus comme celui de Pythagore ou récents et incompréhensibles pour les profanes comme celui de l'idéal principal - il reste en mathématiques beaucoup de questions ouvertes, et peut-être même plus que de questions résolues ! Qu'est-ce qu'une question ouverte en mathématiques ? C'est un énoncé dont on ne sait pas s'il est vrai ou non. Non pas qu'on ne puisse pas savoir s'il l'est ou pas, mais on ne le sait pas encore. Voici quelques exemples :
- « Tout nombre premier est impair » : c'est un énoncé dont on sait qu'il est faux (puisque 2 est premier mais n'est pas impair)
- « Tout nombre premier supérieur ou égal à 3 est impair » : c'est un énoncé dont on sait qu'il est juste, ce qu'on appelle plus couramment un théorème...
- « Ayant 4 couleurs et n'importe quelle carte, on peut la colorier de manière à ce que deux régions limitrophes soient de couleurs différentes » : c'est un énoncé dont on ne sait pas encore s'il est vrai ou faux : c'est une question ouverte !
- « Si un ensemble n'est pas dénombrable*, alors il contient tous les nombres réels » : c'est un énoncé indécidable, ce qui signifie qu'il n'est ni vrai ni faux. Ceci n'est pas à prendre au sens de question ouverte : le « problème » n'est pas ici qu'on ne sait pas encore s'il est vrai ou faux. Non, dans ce cas, on SAIT que ce n'est NI VRAI, NI FAUX. Plus précisément, on sait qu'il est impossible de démontrer cet énoncé (ce ne sera donc jamais un théorème), mais on sait aussi qu'il est impossible de démontrer son contraire ! C'est pour cela qu'on le qualifie d'indécidable. (* un ensemble dénombrable est un ensemble éventuellement infini mais dont on peut numéroter les éléments. Autrement dit c'est un ensemble dont on pourrait énumérer tous les éléments si on disposait d'un temps infini)
Cette notion d'indécidabilité est difficile à saisir. En fait la clé pour comprendre est ceci : contrairement à une idée reçue, tout en maths n'est pas vrai ou faux ! Pour être plus précis, ce que tout le monde pense et qui est vrai, c'est qu'un énoncé ne peut pas être en même temps vrai et faux, de même qu'il ne peut pas y avoir en même temps des nuages et pas de nuage... Par contre, ce que tout le monde pense mais qui est faux, c'est qu'on peut être ni vrai ni faux... Réfléchissez bien : l'interdiction d'être en même temps vrai et faux et l'obligation d'être l'un des deux sont deux règles bien distinctes ! Après tout si la carte du restaurant vous interdit de prendre du fromage sec et du blanc, le patron ne vous en voudra pas de partir sans rien prendre ! La chose profonde sur les propositions indécidables est que, puisqu'elles ne sont a priori ni vraies ni fausses, on peut supposer sans problème l'un ou l'autre ! Autrement dit lorsqu'un mathématicien qui étudie une théorie parvient à une telle proposition, il a le choix entre la supposer vraie ou la supposer fausse. Dans les deux cas, il aboutira à une théorie certes différente de l'autre, mais tout-à-fait valable au sens qu'elle ne se contredira pas.
Je finirai ce propos en vous parlant du premier théorème de Gödel qui énonce que dans n'importe quelle théorie mathématique, une telle proposition doit toujours finir par être énoncée : l'indécidable est inévitable ! Mais bon, passons sur ce problème d'une part parce qu'il commence à s'agir de maths hautement difficiles, d'autre part parce que ce n'était pas mon sujet initial ! Si je résume les 4 exemples ci-dessus, à part le troisième (celui des couleurs), tous sont des questions résolues. En revanche le troisième exemple est une question ouverte : on attend toujours que quelqu'un le démontre, ou au contraire démontre que c'est faux...

Questions ouvertes et conjectures
Parmi ces questions ouvertes, certaines sont spéciales. En effet même si on n'a pas encore démontré leur validité, les chercheurs ont de bonnes raisons de penser qu'elles sont vraies. C'est par exemple le cas de l'exemple des couleurs ci-dessus : on n'a pas démontré que ce résultat est vrai, mais le nombre de cartes testées dans le monde s'élève probablement à plusieurs milliers et on a toujours réussi à colorier avec 4 couleurs : ainsi même si cet énoncé peut être faux, il y a quand même de très fortes chances qu'il soit vrai ! Ce genre d'énoncé est appelée une conjecture.
Le premier exemple qui me vient à l'esprit est la conjecture la plus célèbre de l'histoire, et elle est due à Pierre Simon de Fermat. Rappelez-vous le théorème de Pythagore : a2 + b2 = c2, où a, b et c sont les côtés d'un triangle rectangle. On peut alors chercher des triangles rectangles à côtés entiers, et il y en a. Par exemple, le fameux 3-4-5 (il est fameux car il servait déjà aux Egyptiens pour tracer des angles droits) : vous pouvez vérifier facilement que 32 + 42 = 52 (plus d'infos sur ces nombres ici). Une question se pose alors : peut-on trouver trois entiers a, b et c tels que a3 + b3 = c3 ? Et plus généralement, si n est plus grand que 2, peut-on trouver trois entiers a, b et c tels que an + bn = cn ? Nous sommes au milieu du XVIIème siècle et Fermat lit un livre d'arithmétique. Il note alors dans la marge ces mots devenus célèbres, en parlant de la question ci-dessus : « aucune puissance supérieure stricte à 2 n'est somme de deux puissances analogues. J'ai trouvé une merveilleuse démonstration de cette proposition, mais je ne peux l'écrire dans cette marge car elle est trop longue ». Depuis, ce problème a fait suer de nombreux mathématiciens et même les plus célèbres ne l'ont pas résolu... Le résultat était-il vrai, Fermat s'est-il trompé ou bluffait-il ? Assez rapidement, le résultat a été démontré dans certains cas : n = 3, 4, 5, ... Mais pour un n quelconque, rien du tout... Et en 1990, plus de trois siècles plus tard, on n'en savait toujours rien ! Par contre ce qu'on savait, c'est que les calculateurs talentueux puis les ordinateurs avaient manipulé sans cesse les nombres les plus variés et les plus gros, confirmant toujours l'énoncé... Bref plus les années ont passé et plus on a pensé que ce résultat était vrai, sans toutefois avoir de preuve : la question a peu à peu accédé au rang de conjecture, sous le nom de « conjecture de Fermat ».
Vint enfin le 19 septembre 1994. Le mathématicien Andrew Wiles a réuni ses collègues pour leur faire une surprise. Et quelle surprise : il a démontré la conjecture ! Enfin presque, parce qu'il y avait quelques erreurs dans sa preuve mais elles furent vite corrigées. C'est ainsi que ce qui était la plus célèbre et plus étudiée conjecture est devenue en 1994 le « théorème de Fermat-Wiles »...
Voici donc une belle success-story qui jusqu'en 1994 illustrait parfaitement ce qu'est une conjecture : un drôle de théorème, un théorème qu'on considère vrai et qu'on utilise parfois bien qu'on ne l'ait pas démontré !

Quelques célèbres conjectures
Maintenant que vous savez ce que sont ces ovnis, il est temps de vous dire quelles sont les plus célèbres après celle de Fermat.
Je citerai d'abord la conjecture P = NP, la conjecture de Hodge, l'hypothèse de Riemann et la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer, car ces conjectures font partie de ce qu'on appelle « les sept problèmes du millénaire ». Lisez l'article correspondant pour en savoir plus sur ces conjectures. Elles demandent, rien que pour leurs énoncés, de bonnes connaissances. Voyons donc des conjectures qui s'énoncent de manière compréhensible par tous :
- La conjecture de Kepler devrait être connue des marchands de fruit. Elle énonce que si l'on dispose de sphères identiques (de même rayon), la manière la plus dense (c'est-à-dire celle qui prend le moins de place) de les empiler est de former une pyramide comme le font les marchands.
- La conjecture de Goldbach énonce que tout nombre pair (sauf 2) peut s'écrire comme la somme de deux nombres premiers : par exemple, 10 = 3 + 7, 12 = 5 + 7, 14 = 3 + 11, ...
- On appelle suite de Syracuse une suite dans laquelle on passe d'un terme au suivant en le divisant par 2 s'il est pair ou en le multipliant par 3 et en ajoutant 1 s'il est impair. Par exemple en partant de 10, on obtient la suite 10, 5, 16, 8, 4, 2, 1, 4, 2, 1, ... La conjecture de Syracuse dit que quelque soit le nombre de départ, on finit toujours par tomber sur 1.
- On appelle nombres premiers jumeaux deux nombres premiers dont la différence n'est que de 2. Par exemple, 17 et 19 sont jumeaux ainsi que 821 et 823, mais pas 23 et 29. La conjecture des nombres premiers jumeaux dit qu'il en existe une infinité.
- Un nombre parfait est un nombre égal à la somme de ses diviseurs (sauf lui). Par exemple, 6 est parfait car ses diviseurs sont 1, 2, 3 et 6 et 1 + 2 + 3 = 6. 28 est parfait car ses diviseurs sont 1, 2, 4, 7, 14 et 28 et 1 + 2 + 4 + 7 + 14 = 28. 15 n'est pas parfait car ses diviseurs sont 1, 3, 5 et 15 et 1 + 3 + 5 = 9. La conjecture des nombres parfaits dit qu'ils sont tous pairs.

Conjecture ou théorème ?
Revenons sur la conjecture des 4 couleurs : toute carte peut être coloriée en n'utilisant que 4 couleurs différente. J'ai dit plus haut que ce n'est qu'une conjecture, pas un théorème. Mais l'informatique pose ici un problème fondamental aux mathématiciens.
En effet, il n'existe actuellement aucune « véritable démonstration » de ce résultat, c'est-à-dire aucun texte consistant en une succession d'affirmations prouvées dont la dernière est le résultat voulu (Kempe en a donné une en 1879, on a découvert qu'elle était fausse en 1890). Bref, la conjecture n'est pas prouvée au sens classique du terme. Cependant, grâce à des ordinateurs, on a pu la vérifier sur un grand nombre de cartes différentes (grâce d'ailleurs à des idées de Kempe), et elle a toujours été valable. Mieux : on a réussi à trouver un nombre fini (grand, mais fini !) de cartes sur lesquelles il suffit de vérifier la conjecture pour qu'elle devienne vraie pour toute carte. On peut à présent tester la conjecture par ordinateur sur ces cartes.
Ainsi, on dispose d'un certain nombre de cartes à vérifier. Si la conjecture est vérifiée sur chacune, elle deviendra un vrai théorème. Il « suffit » alors de vérifier ces cartes par ordinateur. On a ainsi écrit un programme informatique chargé de vérifier ces cartes. Il tient environ sur 3 Go de données. La conjecture est donc maintenant réduite à ceci : on a un programme informatique à faire tourner sur un ordinateur. La réponse de l'ordinateur déterminera si la conjecture est vraie ou fausse. On sera donc aussi sûr de la véracité de la conjecture que de la véracité de la réponse du programme. Et le problème est là : peut-on faire confiance au résultat de l'ordinateur ?
Le fait est que dans tout ordinateur, un risque d'erreur de calcul existe. Une erreur peut provenir par exemple d'un légère baisse de tension électrique : une toute toute petite baisse, qu'on ne voit pas devant l'écran mais qui change un bit d'information dans la mémoire de l'ordinateur ; un bit insignifiant devant les milliards d'autres, mais suffisant pour que l'ordinateur réponde 2 au lieu de 1... Les informaticiens utilisent des techniques, appelées « codes correcteurs » pour minimiser ces erreurs. En fait, on peut dire que le risque d'erreur de calcul des ordinateurs est très faible, beaucoup plus faible que chez un humain. Mais pas inexistant...
Le programme en question a tourné des centaines de fois sur des ordinateurs différents, renvoyant toujours la même réponse : la conjecture est vraie. Le monde mathématique est donc face à cette question, nouvelle car il s'agit de la première fois qu'un ordinateur « démontre » un théorème : au vu du nombre de simulations différentes, peut-on négliger les probabilités d'erreur, et considérer que la conjecture est un théorème ?
Le débat fait rage...

Source :
Wikipédia